Conférence ASPC par Bernard Ouardes le vendredi 9 novembre à 20h30 au cinéma Vox en ouverture des festivités des cérémonies du centenaire de l’Armistice de 1918.
L’A.S.P.C, en partenariat avec la municipalité a tenu une conférence sur « La main d’œuvre annamite à l’usine Sainte Marguerite durant la Grande Guerre ».
Devant un public de près de 100 personnes, le conférencier, Bernard Ouardes, président de l’A.S.P.C, sortant des sentiers battus, a tenu à nous montrer l’impact de la Grande Guerre sur Castelsarrasin au travers de son usine Sainte Marguerite qui règlera le quotidien de notre cité durant les 4 années du conflit.
A l’origine, l’usine créée en 1877, par son fondateur Eugène Secrétan, loin des « marches de l’Est » propices aux invasions allemandes, travaillait essentielle-ment pour le ministère des Armées : laiton à cartouche pour le fusil Gras, et douilles d’obus destinées au canon 75 envoyés en direction des arsenaux de Toulouse et de Tarbes.
A la veille de la mobilisation, Castelsarrasin qui sort tout juste d’une grève de 64 jours (25 mai au 29 juillet), va passer en l’espace de quelques jours « d’une tourmente sociale » à celle encore plus dramatique de la Grande Guerre, sans avoir le temps de reprendre son souffle.
Durant les hostilités, l’usine voit sa superficie industrielle passer de 30 000 m2 à plus de 80 000 et sa production mensuelle de 270t (1914) à 2 450t fin1917. Il en va de même de son effectif : 270 en août 1914 à 4 200 en novembre 1917, faisant de notre sous-préfecture une ville surpeuplée passant de 7200h en 1914 à plus de 11 000 fin 1917. Surpopulation due essentiellement à l’arrivée d’une main d’œuvre indispensable au bon fonctionnement des nouveaux ateliers construits entre 1916 et 1917.
L’effort de guerre devant être, sans cesse, soutenu et face à la « pénurie de bras », l’usine fait appel à une main d’œuvre très diversifiée. Dès la fin de 1914, c’est l’appel à une maind’œuvre féminine, puis aux prisonniers de guerre. En 1916, le ministère de l’Armement crée un service de la main d’œuvre étrangère, qui s’occupe de recruter une « main d’œuvre blanche » : grecs et espagnols pour l’usine de Castelsarrasin.
A la même époque, le gouvernement se décide à faire appel à la « main d’œuvre coloniale » qui va dépendre exclusivement du ministère de l’Armement. Ce service rattaché au ministère de la Guerre, comprend plusieurs sections, correspondant chacune, à une « race » de travailleurs : « noire » pour l’Afrique et « jaune » pour l’Indochine, aujourd’hui le Vietnam. Le directeur de l’usine Sainte Marguerite va faire appel à la main d’œuvre indochinoise.
Le recrutement s’effectue principalement dans les provinces de l’Annam et du Tonkin. Les autorités coloniales ont recours à des pratiques d’intimidation. Cette main d’œuvre est acheminée vers la métropole par bateau. Arrivés à Marseille, ces travailleurs sont envoyés dans des camps qui occupent le sud de la France. De là, ils sont choisis pour être redistribués sur l’ensemble du territoire, en fonction de la demande des établissements industriels.
L’usine de Castelsarrasin comptera jusqu’à 436 travailleurs coloniaux en novembre 1917 qui sont cantonnés la caserne Banel et dans les baraquements B1, B2, construits en 1916 par la C.F.M. Divisés en équipes de travail pour effectuer les « 3 huit », ils effectuent le trajet aller-retour sous la conduite et la surveillance d’un sergent issu des bataillons annamites.
Cette main d’œuvre est soumise à un strict contrôle au travail. On attend d’elle des cadences de travail soutenues. Elle est employée aux ateliers de tréfilerie, au laminage ou à l’atelier des rubans. Elle est plus exposée aux accidents en raison de son ignorance du travail industriel et du barrage de la langue.
A l’intérieur de l’usine, elle est rejetée par les ouvriers français et par les syndicalistes qui la jugent « inorganisée et inorganisable ».
Cette communauté annamite passe presque inaperçue au sein d’une population castelsarrasinoise plus que jamais cosmopolite. Elle vit en vase clos, sous surveillance, contrainte de rester dans ses cantonnements, sauf un jour ou une soirée par semaine.
En 1917, la création d’un Service de Contrôle des travailleurs coloniaux va encadrer de façon stricte les correspondances et les comportements des vietnamiens en France afin de leur éviter « toutes les perversions de contact offertes par l’usine, à savoir : la fréquentation des femmes et les sollicitations politiques et syndicales », le leitmotiv des rapports officiels.
Des rapports de police permettent d’avoir une idée sur le quotidien de cette communauté à l’intérieur et à l’extérieur de l’usine : elle ne se sent pas en sécurité du fait du climat xénophobe, voire raciste à son égard. On comprend qu’elle hésite à s’aventurer dans les rues de la ville de peur de menaces physiques.
Entre mai 1917 et janvier 1919, 7 annamites décèdent ; ils sont enterrés « au carré militaire » du cimetière de Macalet, avec la mention « Mort pour la France ».
Par leur présence et leur travail à l’usine Sainte Marguerite, ces hommes ont participé à l’effort de guerre et à la victoire finale. Par devoir de mémoire, l’A.S.P.C se devait de leur rendre hommage.