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Mai 1968 au Lycée de Castelsarrasin

Conférence ASPC du Mercredi 15 mai 2019, salle de la Médiathèque à 18h.

« Mai 68 au lycée de Castelsarrasin » par Jean-Pierre Pabanel

 

  Mercredi 15 mai, salle de la médiathèque, Jean-Pierre Pabanel, lors de sa causerie, a présenté les événements qui se sont déroulés au Lycée de Castelsarrasin au cours du mois de mai 1968.

  En ce mois de mai, le pays était en effervescence. Les informations égrainaient les grèves étudiantes, les occupations, les manifestations, etc.… qui se succédaient.

Le lundi 20 mai, à 8 heures au début des cours, les lycéens décidèrent de rester dans la cour et d’occuper le Lycée. Trois objectifs étaient assignés à cette action : occuper le lycée et de faire la grève des cours ; organiser une manifestation dans la ville ; engager une critique de l’institution et des acteurs de celle-ci. Les professeurs en grève pour une période illimitée rejoignirent les étudiants.

  La manifestation était prévue le mardi 21 mai après-midi. Celle-ci démarra vers 15h, précédée par des agents de police, aux cris de « Charlot des sous », ou «dix ans ça suffit». Le trajet empruntait la rue du Collège, la rue de la Révolution, la place de la Mairie, la rue de la Fraternité, la rue Descazeaux, la place de la Mairie et le retour au Lycée. A l’époque, il y avait dans la rue de la Révolution de nombreuses boutiques de commerçants, celles-ci avaient retirées de leurs étals les objets à vendre de peur que les manifestants ne dérobent ceux-ci.

Devant la sous-préfecture, la manifestation s’arrêta, car une délégation de professeurs et de lycéens rencontra le sous-préfet. Dans la rue, les manifestants reprenaient de temps en temps ses slogans et essayaient de capter l’attention du voisinage en faisant du bruit.

Le responsable du SNES informa du contenu de l’entretien avec le sous-préfet : présentation des revendications syndicales et demande de remplacer le soliloque par un vrai dialogue de l’Etat avec les syndicats et les organisations lycéennes.

Le cortège repartit vers la Mairie, le Secrétaire Général reçu la délégation. Les délégués lycéens demandèrent un appui logistique pour leur éventuel besoin en reproduction de textes et documents. Cela fut accepté.

   Le lendemain matin, l’occupation du lycée commença. Deux objectifs se dégagèrent :

  • Se positionner sur le baccalauréat qui est prévu pour la fin juin. En effet, vu les circonstances, il paraissait nécessaire de modifier le mode de passage de celui-ci et de reconsidérer les dates prévues.
    Il fut donc décidé de se séparer en deux : une réunion où seraient discutés les problèmes liés au baccalauréat et une réunion où seraient listés les thèmes à discuter pendant l’occupation.

Cette réunion a regroupé essentiellement les élèves qui étaient candidats. Il y avait à la fois un sentiment d’incertitude et de crainte que l’année soit déclarée blanche.

L’après-midi, on apprit qu’une réunion de coordination des comités lycéens devait avoir lieu à Toulouse en fin de semaine, et que la question du bac était à l’ordre du jour. Un représentant fut envoyé pour réunir des informations sur la situation que de faire des propositions.

Au début de la semaine suivante, le Ministre décida que le bac se déroulerait début juillet, que les épreuves écrites étaient supprimées.

  • Débattre de thèmes qui sont demandés sur le rôle de l’école et plus généralement la formation et sur des thèmes plus sociétaux ou ayant trait à l’avenir de la société.

L’occupation du lycée prévoyait d’organiser tous les jours des débats : un pour la matinée et un pour l’après-midi.

La programmation de ceux-ci était fonction des centres d’intérêt généraux : De quelle éducation avons-nous besoin ? Comment organiser la participation des lycéens et des parents ? Comment organiser les examens ? Faut-il une éducation sexuelle à l’école ?           

D’autres étaient liés à la conjoncture : écoute collective des discours De Gaulle autour d’un transistor, décisions à prendre dans le moment, rencontre avec un visiteur en lutte.

  L’Association de Parents d’Elèves organisa une réunion publique à la salle Descazeaux le lundi soir 27 mai. Sans concertation formelle, un certain nombre de lycéens qui occupaient le Lycée y assista. Le président de l’association donna la position de l’association dans la période : soutien aux mouvements de revendication dans les collèges et lycées et mise en avant de l’actualité des revendications de l’association. Le représentant de la municipalité intervient pour expliquer leur rôle dans la mise en place des équipements scolaires. Celui-ci mis l’accent sur l’effort financier fait pour les équipements périscolaires communaux.

  Des parents invectivaient l’arrêt de travail des élèves qui ne pourraient que leur être néfaste in fine et dans l’immédiat pour ceux qui passent le bac cette année. Le président de l’association demanda alors aux représentants du Comité d’Action Lycée présents dans la salle de venir s’exprimer à la tribune pour présenter leur action. Il y eu quatre interventions sur la gestion du lycée et la nécessité de cogérer les lycées avec tous les acteurs « les lycéens doivent être traités en adultes », sur la difficulté de mise en œuvre des programmes et du contrôle des niveaux de connaissance, sur le sens d’une occupation active menée en compagnie de professeurs. L’assistance posa des questions toujours dans le même sens, cette grève et cette occupation ne devaient pas pénaliser les élèves et les détourner de leurs objectifs : aller au bout du cursus et être bien formé.

Au cours de ces jours d’occupation, des réunions dites unitaires entre plusieurs organisations syndicales (CGT, FEN, SNI, SGEN) eurent lieu au Lycée. Un meeting unitaire fut programmé. Le Comité d’Action Lycéen de Castelsarrasin convié à y participer fit une intervention présentant ses revendications

La participation des lycéens à l’occupation était liée à plusieurs contraintes.

  • Une partie des lycéens était pensionnaire ou demi-pensionnaire. Le personnel du lycée étant en grève, les pensionnaires ont été renvoyés chez eux. Et la cantine et les transports scolaires n’étant plus assurés, les demi-pensionnaires ne sont plus venus.
  • Les participants se réduisaient aux élèves de terminale, première et seconde qui habitaient Castelsarrasin. Les élèves qui venaient par leurs propres moyens des communes voisines avec des solex et des mobylettes, peu à peu, ne sont plus venu par peur de manquer de carburant.
  • Un certain nombre d’élèves de troisième voulaient venir, mais les parents, les dissuadaient, comme cela m’a été raconté quelques années plus tard par des lycéennes devenues étudiantes.

  Le noyau actif qui occupait le lycée était en fait composé d’une cinquantaine d’élèves. Les lycéennes étaient nombreuses. La préférence politique n’était pas discriminatoire. Ainsi des élèves, ayant des préférences centristes ou modérés connues, venaient aux réunions et participaient activement aux débats.

 Mais l’essentiel de la non-participation était dû à des problèmes de déplacement pour les lycéens habitant hors de la ville et le désintéressement des événements. Et bien sûr aussi au prétexte de la préparation du bac…Des professeurs et des personnels du lycée participaient à l’occupation. Ceux qui étaient présents ne correspondaient pas à l’image que l’on se fait d’eux lorsque l’on est élève.

Certains professeurs – sur lesquels on ne comptait pas – étaient très présents et actifs, d’autres que l’on pensait acquis au mouvement étaient absents. Il faut dire que comme pour les élèves n’habitant pas la ville, la contrainte du déplacement à joué. Effet, un certain nombre de professeurs qui venaient de Toulouse ou d’autres villes, ont rapidement cessé de venir.

  Il ne me sembla pas que les enseignants aient voulu contrôler le mouvement, leur contribution dans les débats a apporté toutefois des ressources qui manquaient.

Pour ce qui concerne des autres personnels, les laborantins (ceux qui aident dans ce qui était appelé alors cours de physique, de chimie et de sciences naturelles) qui se sont beaucoup manifestés pour décrire le fonctionnement du lycée, du côté des laboratoires. Ils estimaient qu’ils étaient méprisés par l’administration et par certains professeurs, et que leur statut ne correspondait pas à leur travail.

  En cette fin de mois, au niveau national la situation allait se normaliser, l’occupation du lycée et la grève allait finir. La décision fut prise de présenter les résultats des débats durant cette occupation à la population castelsarrasinoise en organisant une réunion publique de restitution. Huit thèmes furent retenus sur la gestion du lycée, les programmes, les examens, l’enseignement artistique, l’éducation sexuelle, la création d’un foyer socioculturel et le rôle de l’enseignement dans la société.

  La réunion s’est tenue le vendredi 31 mai à la salle Descazeaux. L’assistance était nombreuse, composée pour partie d’élèves, mais aussi de parents, d’enseignants et de curieux.

Cette réunion clôturait l’occupation du lycée, le lundi 3 juin, le lycée reprenait son cours normal, et dans les jours suivants les élèves de terminales étaient appelés à venir chercher les dossiers scolaires pour le baccalauréat. Et les révisons des programmes, pour se préparer à passer le bac commençaient….

  De ces jours d’occupation du lycée en mai 68, que reste-il ? Une impression de liberté dans les débats et dans les possibilités de rapports aux adultes pour ces jeunes adolescents, et la libre parole entre adolescents. La sensation que de nouvelles possibilités s’ouvraient au-delà de la morosité du quotidien. Et la mémoire l’a oublié…

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